Isabelle Roskam, Ph.D et Moïra Mikolajczak, Ph.D.

Dois-je laisser mon enfant se rendre seul à l’école ? Oui pour son autonomie mais quid de sa sécurité ? Cette question met en évidence l’un des nombreux paradoxes auxquels les parents d’aujourd’hui sont confrontés.

Quatre paradoxes qui sèment le doute et complexifient le métier de parent

Le premier de ces paradoxes contemporains est que nous n’avons jamais tant promu l’autonomie de l’enfant ET EN MEME TEMPS nous n’avons jamais tant cherché à le surveiller. Quel parent ne souhaite pas que son enfant soit autonome ? Quel professionnel de l’enfance ne cherche pas à promouvoir l’indépendance des enfants ? Nous considérons l’enfant comme un être à part entière. Nous voulons qu’il se réalise par lui-même et qu’il décide pour lui-même. Il est encouragé à explorer différentes voies, à faire ses propres expériences et ses propres choix, à tracer sa route. ET POURTANT, nous n’avons jamais mis en place autant moyens pour surveiller nos enfants. Soucieux de maîtriser les risques qu’ils encourent (ou qu’ils pourraient encourir), nous mettons des barrières de sécurité aux portes et aux escaliers de nos maisons, nous accompagnons les enfants jusqu’à la grille des écoles, nous équipons les appareils technologiques de systèmes de sécurité spécialement conçus pour la surveillance parentale,  … Bref, nous voulons une autonomie active mais sans prise de risque ! Et si l’aversion pour toute forme de risque nous conduisait finalement à limiter l’exploration, à entraver le développement des enfants à force de surprotection ?

Un deuxième paradoxe est que nous n’avons jamais été aussi conscients des besoins affectifs des enfants et en particulier, des besoins de proximité physique,  ET EN MEME TEMPS nous n’avons jamais été aussi suspicieux vis-à-vis du toucher. La célèbre théorie de l’attachement souligne depuis plus de 50 ans le rôle essentiel joué par la proximité physique entre l’enfant et ceux qui en prennent soin. Pour réguler son stress et ses émotions, l’enfant, dès la naissance, déploie de nombreux moyens pour se rapprocher physiquement de ses donneurs de soin afin de se sécuriser à leur contact. Personne ne remet en question cette théorie. C’est au nom de cette théorie que le contact peau à peau est favorisé de même que le cododo. ET POURTANT, nous ne nous sommes jamais autant méfiés de ceux qui touchent les enfants ! Quel adulte ose encore ouvertement cajoler un enfant qui ne serait pas le sien ? Le toucher est régulé dans les rapports entre les professionnels et les enfants : les enseignants, les éducateurs, les assistantes maternelles, ne sont pas toujours autorisés à se livrer à des gestes tendres et spontanés à l’égard des enfants dont ils ont la responsabilité, même si les enfants sont en situation de détresse. Les parents eux-mêmes peuvent se sentir mal à l’aise de trop câliner l’enfant ou s’inquiéter de connaître la frontière entre câlin et attouchement. Et si les suspicions généralisées à propos du toucher privaient finalement nos enfants d’un besoin fondamental d’affection et de sécurité ?

Un troisième paradoxe est que nous n’avons jamais tant souhaité que les hommes s’investissent dans les soins et l’éducation des enfants ET EN MEME TEMPS, nous n’avons jamais tant nourri de méfiance à leur égard. Les défenseurs de l’égalité de genre rappellent volontiers que la parentalité reste un domaine dans lequel les inégalités de genre sont particulièrement saillantes. Les mères continuent en effet à porter 70% de la charge parentale et on attend des pères qu’ils s’impliquent davantage pour soulager les mères et participer au développement de leur enfant. Par ailleurs, les métiers de la petite enfance sont principalement occupés par des femmes. Nombreux sont ceux qui réclament que cela change et que les hommes se destinent eux aussi à des métiers de soin comme assistant maternel, éducateur de jeunes enfants, enseignant de maternelle ou psychologue pour enfant par exemple. ET POURTANT, les hommes et les pères n’ont jamais tant fait l’objet de méfiance lorsqu’ils sont en présence d’enfants. Que penser d’un homme dont l’ambition professionnelle serait de travailler au contact de jeunes enfants ? Que penser d’un homme qui passerait de longues heures seul avec de jeunes enfants ? Que penser d’un homme qui manifesterait ouvertement son plaisir de côtoyer des enfants ? Quelle confiance lui accorderions-nous ? Et si la méfiance à l’égard des hommes privait les enfants des bénéfices spécifiques dont ils détiennent les clés (en plus de priver les mères d’une ressource importante qui les protège du burnout parental ; voir à ce propos notre blog « Le burn-out parental, c’est quoi ? ») ?

Ces paradoxes auxquels sont confrontés les parents aujourd’hui, sont une source stress qui ne peut bénéficier ni aux parents eux-mêmes, ni aux enfants qui sont pourtant au cœur des préoccupations… Et c’est là tout le paradoxe !